Ce qui est compliqué avec le type de voyage que je fais, c’est que je ne dors pas dans une auberge de jeunesse pleine de monde, ni même dans une ville, ou un semblant de village. Je vais dans des campings, ou à la ferme, en pleine nature, et suis principalement entourée de personnes plus âgées…. Tout cela rend la prise de contact un peu plus compliquée.
Alors pour y pallier, je me suis lancée dans le Woofing. Le principe est simple, tu travailles quatre heures par jour dans une ferme, en échange d’être logée et nourrie. Nous étions le vendredi soir, et je voulais arriver dans la ferme le dimanche. J’ai donc envoyé plusieurs demandes, et une réponse m’a plus particulièrement touchée : Bonjour Coline, merci pour votre demande. C’est de l’impro, comme on dit en musique ! Si vous voulez venir dimanche, on trouvera un joli coin pour mettre votre caravane.
Me voilà alors partie pour rejoindre Emmanuel, qui est vigneron près de Saint-Emilion. Je suis arrivée un dimanche après-midi, et il revenait du marché avec un autre Woofeur. Il y avait des huîtres sur la table, toutes sortes de fromage, et une grosse saucisse de campagne posée sur une assiette. Le rosé était bien évidemment aussi de sortie. J’ai tout de suite été touchée par l’ambiance rustique du lieu. Il vit dans la demeure familiale et tient à cœur de garder les éléments dans leur jus. Il cuisine encore avec une cuisinière en fonte, et comme il me l’a si fièrement dit “La table où on mange est celle sur laquelle je suis né !”. J’ai tout de suite aimé cette authenticité et cette sincérité.
Il fait ses courses essentiellement au marché hebdomadaire de Libourne, et consomme donc bien local. Sa cuisine est d’ailleurs délicieuse. J’avais été prévenue, aller au marché avec Manu, c’est toute une histoire. En effet, tu ne fais pas cinq mètres sans qu’il ne s’arrête pour saluer quelqu’un. Je me souviens d’un moment où il était parti acheter ses légumes, et l’agricultrice du stand m’a alors approchée pour me raconter sa vie. Elle me parlait de tous ses problèmes de santé, mais je ne comprenais qu’un mot sur deux, tant son accent était fort. Je tentais donc de comprendre ce qu’elle me disait, et réalisais qu’en fait, elle n’attendait pas de réponse. Elle débitait tout simplement sa vie, en discontinu. Que je hoche ou non la tête n’aurait influencé en rien son débit. Elle prenait simplement plaisir à me raconter sa santé, ses rendez-vous chez le médecin, ses opérations…
Parfois, vivre à la campagne, c’est vivre des épisodes de Strip-Tease en live.
Emmanuel – Le vigneron
Un matin où je travaillais dans les vignes, j’étais assise dans l’herbe à attendre que Christophe, un employé, ait fini de fumer sa clope. Il vient alors vers moi et me dit “Hé, Céline (tout y est passé sauf “Coline”), regarde un peu mon sourire. J’ai oublié de mettre mon dentier ce matin !”. Là-dessus, il explose de rire. Cette bouche béante, sans plus aucune dent, avec un Christophe tout heureux d’en rire, c’était parfait. Un épisode de Strip-Tease tout doux et bienveillant.
J’en ai vu du monde chez Emmanuel. Il y avait l’apéro du midi, tous les midis sans exception, où les voisins venaient faire coucou autour d’un verre (ou deux) de rosé. Le soir, ce sont les habitudes qui prennent place. Lundi, c’est la salle de sport. Mardi, c’est le copain de Bayonne qui vient dormir et mange avec nous. Mercredi, c’est re-sport. Parce que des abdos comme ceux de Manu, ça s’entretient. Jeudi, c’est Bordeaux. Tournée des livraisons, puis petit concert de jazz, avant de finir au restaurant d’un copain. Vendredi et samedi, on laisse place à l’impro, et dimanche, jour saint du marché. Ce qui est génial, c’est qu’à part pour la salle de sport, il te prend partout avec lui. Alors toi tu le suis, tu découvres, et t’apprends plein de choses. C’est une vie bien rythmée qu’il a, mais c’est avant tout et surtout une vie pleine d’échanges, de rires et de rosés.
Elle est belle la vie de Manu, mais elle est aussi ternie par la réalité de son métier. Il y a actuellement une crise qui touche les vins de Bordeaux et qui fait qu’ils doivent arracher leurs vignes afin de réduire la production. C’est le cas entre autres d’Emmanuel, qui arrache ses vignes et reçoit en retour des primes de l’Etat. Un jour, il me partageait son inquiétude “On ne boit plus du vin Coline. Maintenant c’est de la bière, ou alors plus d’alcool du tout. Ça n’intéresse plus les gens, plus comme avant en tout cas. Puis tu as vu le prix auquel tu peux acheter des bouteilles de vin chez Lidl ? Comment on vit avec ça ?”. Cette réalité, elle doit être bien dure à porter. Quand dans la famille on fait le même métier depuis cinq générations, que les vignes, c’est en fait ta maison, comment est-ce que tu continues, alors que tu te retrouves à devoir les arracher ?
Ce séjour chez Emmanuel m’a permis de voir la dureté de ce métier. Je ne connaissais rien au vin, et n’y connais toujours rien, mais au moins, maintenant je sais qu’il est important de continuer à en boire. Alors j’aime la bière, mais je sais que lors de repas chez des amis ou la famille, j’amènerai plutôt du vin. Une belle bouteille, avec des valeurs. “Mise en bouteille au château ou dans la propriété”, rien de moins.
Avant, je réfléchissais à comment bien acheter ma courgette. Maintenant, je réfléchis aussi à comment bien acheter mon vin.